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Janvier 1979, l'Iran est en ébullition. Après plusieurs mois de manifestations populaires fustigeant son pouvoir despotique, le shah est sur le point de quitter le pays. Longtemps alliés indéfectibles du monarque laïque placé au pouvoir en 1941 par les Britanniques et les Soviétiques au détriment de son père Reza Shah, les États-Unis se rendent à l'évidence : le shah Mohammad-Reza Pahlavi est condamné. Ils soutiennent donc sa décision de transférer le pouvoir à une administration civile dirigée par le nouveau Premier ministre Shapour Bakhtiar, que vient de nommer le Shah, prélude à son départ en exil. Soucieux néanmoins de conserver ce riche pays pétrolier dans son giron, Washington tente alors d'influencer l'armée impériale. 

"Aussi longtemps qu'il existait un gouvernement civil (celui de Shapour Bakhtiar, NDLR), le président Carter estimait qu'il était urgent de persuader l'armée de soutenir de tout son poids le gouvernement que le shah avait quitté", écrira le général Robert Huyser, décédé en 1997, dans ses mémoires. "Comment procéder ? Il sembla que le président pensait à l'envoi d'un émissaire spécial, et il cherchait une figure militaire de haut rang avec une expérience diplomatique et une vision approfondie de l'Iran qui pourrait inspirer la confiance des leaders militaires iraniens." 

Commandant adjoint du commandement américain en Europe, fin connaisseur de l'Iran où il s'est rendu à plusieurs reprises, le général Huyser est l'homme de la situation. La Maison-Blanche jette son dévolu sur ce haut gradé, mais lui signifie clairement qu'elle le renierait s'il venait à échouer. Le 7 janvier 1979, Robert Huyser atterrit à Téhéran. Étant donné la sensibilité de sa mission, l'émissaire n'a reçu aucun ordre écrit, tout juste une ébauche de texte l'invitant à informer les militaires iraniens du soutien des États-Unis. En échange, les généraux du shah doivent appuyer le nouveau gouvernement du Premier ministre Shapour Bakhtiar. 

Mais, consciente de la chute imminente du régime du shah, l'armée est, elle, tentée par un coup d'État. Ses hauts gradés savent qu'ils ne sortiront pas vivants d'une révolution, qui plus est si le plus grand opposant au shah, l'ayatollah Khomeiny, rentre de son exil à Neauphle-le-Château en France. Ainsi, le général Robert Huysen sait que, en dépit de ses instructions officielles, l'opportunité d'un soutien américain à un coup d'État militaire n'est pas totalement abandonnée à Washington. 

"Brezinski (conseiller à la sécurité nationale de Carter, NDLR) voulait transmettre son feu vert à l'armée pour organiser un coup d'État militaire, écrira le général Huyser dans ses mémoires. Le président Carter ne souhaitait en arriver là qu'en dernier recours." "La confusion des responsables américains a envoyé des signaux contradictoires aux généraux iraniens et les a démoralisés", explique au Point.fr l'historien Andrew Scott Cooper, qui a eu accès aux documents déclassifiés. "La politique américaine sur l'Iran manquait de cohérence et se basait sur des renseignements trop pauvres." 

Pour s'assurer du véritable but de sa mission, le général Huyser écrit le 12 janvier au secrétaire à la Défense Harold Brown, ainsi qu'au chef d'état-major, le général David Jones. Et en profite pour leur rappeler les informations qu'il a déjà transmises aux militaires. "Je leur ai dit que je considérais le coup d'État militaire comme le dernier recours absolu", affirme-t-il selon le câble diplomatique déclassifié. "Je leur ai expliqué qu'il existait divers échelons avant d'en arriver à une telle action..." Mais les États-Unis n'en écartent pas pour autant l'idée. 

Tout appui américain à un coup d'État en Iran exigeait deux conditions préalables : que les militaires donnent l'occasion à Shapour Bakhtiar d'exercer son mandat et que le nouveau Premier ministre iranien puisse s'assurer du soutien de l'armée pour pouvoir rétablir la loi martiale. "Je ferai de mon mieux pour (...) apporter un soutien entier à Bakhtiar et ne pas (nous) précipiter dans un coup d'État militaire", conclura l'émissaire dans sa lettre. 

Mais les généraux iraniens ne l'entendent pas de cette oreille. Le 13 janvier 1979, le lieutenant général Amir Hossein Rabii, commandant de la force aérienne impériale, rencontre le général Huyser. Il lui annonce s'être mis d'accord la veille avec les chefs de l'armée, de la marine et de la gendarmerie pour s'emparer du pouvoir dès la fuite du shah d'Iran. Dans le cas contraire, "l'armée pourrait rapidement imploser", insiste-t-il devant le général américain, selon un mémo diplomatique envoyé à l'époque par le secrétaire à la Défense Harold Brown au président Carter. Robert Huyser en informe immédiatement sa hiérarchie. Et exhorte de nouveau l'armée à accorder une chance à Bakhtiar.

Comprenant que les Américains ne le soutiendront pas, le lieutenant général Amir Hossein Rabii plie. D'après le câble diplomatique du secrétaire à la Défense Harold Brown, "des discussions approfondies ont alors été menées au sein de l'armée pour travailler plus étroitement avec certains leaders religieux, Huyser étant à la baguette et Rabii demeurant peu enclin à s'exécuter". Ce dernier n'avait pourtant pas tort. 

Le 10 février, de violents combats éclatent au coeur de la base militaire Doshan Tappeh de Téhéran entre la garde impériale et les cadets de l'armée de l'air. Enhardis par cette rare scission au sein de l'establishment militaire iranien, des milliers de révolutionnaires - islamistes, communistes, marxistes, mais aussi libéraux - bravent le couvre-feu et s'emparent de plusieurs ministères de la capitale. Le lendemain, l'armée iranienne fait une déclaration de neutralité dans le conflit, permettant à Khomeiny, rentré en Iran, de s'emparer du pouvoir. 

Le 11 février, l'ambassade américaine à Téhéran envoie son dernier câble diplomatique à la Maison-Blanche : "L'armée se rend, Khomeiny gagne." Le 1er avril 1979, la République islamique est proclamée, et le Premier ministre Shapour Bakhtiar, contraint à l'exil. "Loin de les rassurer, la mission américaine a ruiné le moral des responsables iraniens pro-occidentaux, qui voulaient tout faire pour empêcher la prise du pouvoir par les islamistes", pointe l'historien Andrew Scott Cooper. Et ces derniers en ont payé de leur vie. Capturés manu militari, le général Amir Hossein Rabii et ses collègues ont été torturés avant d'être exécutés.