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7 janvier 2011 5 07 /01 /janvier /2011 22:07

INTERVIEW - Jean-Claude Kaufmann raconte dans son livre «Sex@mour» les bouleversements des relations amoureuses provoqués par internet. Il les a expliqués à 20minutes.fr.

Vous expliquez un certain nombre de caractéristiques des relations amoureuses d'aujourd'hui, dont certaines ne sont que le fruit d'une évolution étrangère à internet. Concrètement, qu'est-ce que la toile a changé? 
Internet n'efface pas toutes les anciennes relations ou leurs composantes. Les lieux de rencontre traditionnels demeurent. Mais Internet rajoute un monde nouveau, plein de passerelles avec la vie réelle, et sépare le temps de la rencontre en deux. Il y a un temps grisant de la rencontre sur la toile,  et un temps «in real life», dans la vraie vie. Sur la toile tout est possible: on se sent protégé par l'anonymat, la confiance s'installe, on en arrive vite à des confidences, à des discussions très hot. Mais le deuxième temps de la rencontre intervient, et le fait d'être allé si vite sur la toile rend les choses compliquées. Il fait repartir à zéro sans que ce soit vraiment un terrain neutre. 

Internet simplifie les relations dans un premier temps et les complique dans un deuxième? 
Parce que l'on a une impression de facilité sur internet, qui n’est qu’une illusion. Le cas typique c'est celui où une relation se forme, après que le couple se soit rencontré sur la toile, et au moindre problème ils y retournent. Au lieu d'attendre comme avant que les moments de crise passent, d'essayer de régler les choses, on prend l'habitude de retourner voir s'il y a des gens mieux sur internet. 

Ça fonctionne comme un hypermarché amoureux? 
Dans la mesure où il y a ce sentiment de consommation oui. On fait défiler des profils, des photos. Mais ce qui est trompeur c'est qu'on a beau être sur la toile, ce sont de vrais contacts humains, donc la violence des relations est décuplée. Si vous vous prenez des rejets ce ne sont pas des rejets virtuels. La toile démultiplie aussi les moments magiques. Une internaute explique que les coups de foudre, on en a toutes les cinq minutes. On cherche la personne qui nous conviendrait sur la toile et donc on cherche en permanence, c'est difficile de s'arrêter, il y a peut-être toujours quelqu'un de mieux. Le problème c'est qu'il n'y a pas une personne qui nous convient, mais des centaines, des milliers qui peuvent nous correspondre. Il faut décider soi-même mais pas par des critères intellectuels, plutôt en laissant jouer les émotions. Et on arrive alors à la question du grand mélange sur la toile entre le sexe et l'amour.

Il est plus difficile sur internet de distinguer sexe et amour? 
La difficulté c'est que les internautes mélangent souvent tout. Certaines femmes veulent par exemple des histoires courtes, pas les hommes de leur vie, et se sentent la possibilité de l'exprimer sur la toile, parce qu'il y a une affirmation d'égalité. Ce ne sont pas toutes les femmes, mais une tendance- qui donne une idée du monde de demain. Or quand les hommes ne sont pas dans une simple chasse sexuelle, ils ne supportent souvent pas que les femmes se comportent ainsi, et les traitent très rapidement de «salope». C'est très dur pour les femmes d'assimiler les nouvelles règles du jeu, de satisfaire ceux qui veulent des femmes libérées, mais de se faire très vite insulter comme autrefois. A l'inverse, les hommes ont du mal à savoir ce que veulent les femmes: parfois des bad boys, parfois de gentils hommes compréhensifs. C'est les deux en fait. 

Ce qui a changé surtout, c'est que ce sont des «groupes porteurs de tendance» qui sont dans ces situations de drague sur internet. 
Par rapport au passé, où les gens qui draguaient sur internet étaient souvent ceux qui étaient  en difficulté dans la vraie vie, aujourd'hui on voit effectivement des personnes qui se rencontrent sur la toile qui pourraient très bien draguer dans la vraie vie. Mais il faut bien distinguer les sites de rencontres, souvent payant, où les internautes cherchent l'amour, des blogs ou réseaux sociaux où l'on se rencontre par hasard. Le blog est un moyen de rencontre considérable, d'autant plus qu'il n'est pas installé pour ça, mais pour s'exprimer, se sentir unique et valorisé. Le créateur d'un blog peut alors discuter avec ses lecteurs par exemple.

Quels sont les invariants d'une relation amoureuse, ce qu'internet ne pourra jamais changer?
Il n'y en a pas. L'amour n'est pas un sentiment universel et qui ne change pas. Le sentiment amoureux a incroyablement changé à toutes les époques et c'est ce qu'il fait aujourd'hui encore, à une vitesse considérable. Il y a une présence de plus en plus grande du sexe, dont les gens voudraient qu'il soit un loisir comme les autres. Mais c'est impossible, le sexe sans amour finit toujours par créer une frustration d'un côté ou d'un autre. 

Entre la violence des relations virtuelles, les bouleversements décrits, l'aspect consommation, c'est un tableau assez angoissant que peintsex@mour?
Oui c'est assez angoissant. Mais la noirceur qui en ressort est le reflet de la société d'aujourd'hui, pleine d'égoïsme de cynisme. Le paradoxe c'est que derrière cette violence les internautes ont besoin de l'amour, du couple, de caresses et de réconfort. C'est ce qui me fait conclure de manière un peu optimiste.

 Propos receuillis par Charlotte Pudlowski
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7 janvier 2011 5 07 /01 /janvier /2011 20:25
Ce qui commence est déjà, et pourtant tout aussi bien il n’est pas encore. Être et non-être sont donc en lui en union immédiate ; ou le commencement est leur unité indifférenciée. L’analyse du commencement donnerait ainsi le concept de l’unité de l’être et du non-être - ou dans une forme plus réfléchie, l'unité de l’identité et de la non-identité. Ce concept pourrait être regardé comme la première, la plus pure définition de l’absolu.
Hegel, Logique I, p46.

"Qu'est-ce que tomber amoureux ? C'est l'état naissant d'un mouvement collectif à deux" (p9). Ainsi commence ce livre célèbre du psycho-sociologue Francesco Alberoni "Innamoramento e amore" qui avait attiré l'attention en 1979 sur les similitudes entre mouvements sociaux et coups de foudre, réfutant ainsi le fait que l'amour serait un repli sur la sphère privée alors que les mouvements sociaux sont si propices à tomber amoureux. En effet, comme les mouvements révolutionnaires, l'amour est une force de transformation de la vie quotidienne, de renouveau, de renaissance, de résurrection qui nous sauve du désespoir et de la solitude. Il est donc bien ridicule que certains partis qui se croient révolutionnaires prétendent exclure l'amour de leurs rangs, sous prétexte de son supposé égoïsme à deux et son caractère incontrôlable. Nous devrions faire au contraire une nouvelle alliance entre l'amour et la révolution, redevenir libres ensemble, briser nos liens et notre isolement en affrontant sérieusement les risques de l'institutionnalisation comme fin de l'histoire d'amour ou du soulèvement populaire pour continuer l'aventure collective, pour continuer à nous aimer et à refaire le monde, pour continuer à aimer la vie.

Dans la grisaille du présent, nous attendons un jour nouveau, une vie nouvelle, un printemps nouveau, une rédemption, un rachat, une revanche, une révolte. 180

De nombreuses expériences, la solidarité, la joie de vivre, le renouveau sont analogues. 10

Toutes ces réactions, Weber les attribue au chef, à ses qualités de chef. En réalité, il commet l'erreur que fait chacun de nous lorsqu'il tombe amoureux : celle d'imputer l'expérience extraordinaire qu'il est en train de vivre aux qualités de l'être aimé [...] C'est dans ces moments, enfin, que surgit un "nous" collectif nouveau, composé uniquement de deux personnes unies par l'amour. 12

Le couple amoureux "se reconnaît" dans le mouvement collectif et tend à se fondre en lui. 171

L'amour est donc plus fréquent à l'aube des grands mouvements, souvent il les précède. [...] Qui alors répand l'idée selon laquelle l'amour serait un mouvement égoïste et fermé ? L'institution politique, idéologique ou religieuse qui prétend exercer un contrôle total sur les individus. 175

Tomber amoureux ne correspond pas au désir d'aimer une personne belle ou intéressante ; mais à celui de reconstruire la société, de voir le monde d'un oeil nouveau. 82

L'éros est une force révolutionnaire même si elle se limite à deux personnes. Et dans la vie, on fait peu de révolutions. 20

L'amour est une révolution : plus l'ordre des choses est complexe, articulé et riche, plus terrible en est le bouleversement, plus difficile, dangereux et risqué le processus. 109

Personne ne tombe amoureux s'il est, même partiellement, satisfait de ce qu'il a et de ce qu'il est. L'amour naît d'une surcharge dépressive qui se caractérise par l'impossibilité de trouver dans l'existence quotidienne quelque chose qui vaille la peine. Le "symptôme" de la prédisposition à l'amour n'est pas le désir conscient de tomber amoureux, ni le désir intense d'enrichir l'existence ; mais le sentiment profond de ne pas exister, de n'avoir aucune valeur et la honte de ne pas en avoir. Le sentiment du néant et la honte de sa propre nullité : tels sont les signes avant-coureurs de l'état amoureux. 79

La surcharge dépressive précède tous les mouvements collectifs tout comme elle précède l'amour naissant [...] La conséquence c'est que le mouvement collectif (l'amour à l'état naissant) frappe toujours à l'improviste. 29

Il est possible de rendre quelqu'un amoureux si, au bon moment, une personne se présente et lui témoigne une profonde compréhension, si elle le conforte dans sa volonté de renouveau, si elle le pousse dans cette direction, si elle l'encourage, si elle se déclare prête à partager le risque du futur en le soutenant, en restant à ses côtés, quoiqu'il arrive et pour toujours. 83

L'état naissant a le pouvoir de réveiller chez les autres les propriétés qui sont les siennes. Quand une personne tombe amoureuse d'une autre, elle provoque toujours chez elle un éveil, une émotion. Celui qui aime tend à entraîner l'aimé dans son amour. 73-74

La personne dont nous tombons amoureux constitue pour nous l'élément grâce auquel nous allons modifier radicalement l'expérience quotidienne. Elle-même, en s'éprenant de nous, devient plus vive, pleine de fantaisie, plus capable de projets ; elle nous fait entrevoir une vie plus riche, plus amusante, plus fascinante, faite d'émotions intenses, de choses merveilleuses, de découvertes continuelles, de risques également. Le quotidien apparaît peu à peu comme un renoncement à tous ces biens. 148

Un amour naissant peut-il se transformer en un amour qui, pendant des années, conserve la fraîcheur de l'amour naissant ? Oui. Cela peut arriver quand les deux partenaires réussissent à mener ensemble une vie active et nouvelle, aventureuse et intéressante, dans laquelle ils découvrent ensemble des intérêts nouveaux, ou bien, lorsqu'ils affrontent ensemble des problèmes extérieurs [...] dans ce cas, ils luttent côte à côte pour un projet commun. 145

L'état naissant est une révolution de la vie quotidienne ; aussi peut-il se déployer lorsqu'il réussit à la bouleverser, c'est-à-dire lorsque la vie peut prendre une autre direction, nouvelle, voulue et intéressante. 146

L'amour est insurrectionnel, subversif, menaçant l'ordre établi, ce pourquoi les institutions font tout pour le contenir mais s'il est bien destructeur d'institutions et de vies, c'est aussi le fondateur de nouvelles institutions (mariage) et l'origine de la vie. Comme les mouvements sociaux, l'amour détruit une ancienne communauté où nous n'avions plus de place pour en créer une nouvelle (il sépare ce qui était uni, unit ce qui était séparé). La passion amoureuse est transgressive, elle se construit contre l'obstacle et la Loi qui exacerbent désir et jouissance. L'énamoration est une libération, une renaissance, le retour de la force vitale, des projets et de l'espérance. C'est un moment exceptionnel et, comme tel, il ne peut durer sans s'institutionnaliser et tomber dans l'ordinaire, jusqu'à la prochaine révolution. On a vu que l'amour naissant annonce parfois des révolutions imminentes et les mouvements sociaux favorisent la naissance de l'amour. On est donc loin d'une passion inutile et plus près d'une folie sacrée, de la part d'irrationnel au fondement de toute rationalité ou bien, au contraire, de la ruse de la raison. En tout cas, si l'amour est un phénomène du même ordre que les mouvements sociaux, non seulement il ne se confond pas avec la sexualité mais il est complètement désexualisé, chacun des deux sexes pouvant y occuper la place de l'amant ou de l'aimé (dans un autre ouvrage consacré à l'érotisme, l'auteur insistera sur les différences entre hommes et femmes dans leur abord de la sexualité où les différences sexuelles sont bien là constitutives, naturelles et culturelles).

Tomber amoureux n'est ni un phénomène quotidien, ni une sublimation de la sexualité, ni un caprice de l'imagination. 9

On réduit l'état amoureux à la sexualité, parce que la sexualité n'a pas un objet unique, exclusif ; elle n'est donc pas très redoutable. Lorsqu'il devient évident que la relation est intense, la culture décrète que l'amoureux voit dans l'autre un absolu de perfection, sans défaut, sans incertitude, et lui attribue ainsi les propriétés du délire. 95

Puisque l'état naissant est la vérité de l'institution - l'amour à l'état naissant est la vérité de l'amour - il découvre l'institution privée de vérité, pur pouvoir. Et puisque l'institution ne peut voir dans l'état naissant sa propre vérité - précaire, fugace, pur devenir - elle juge l'état naissant comme irrationnel, fou, scandaleux. 99

Tomber amoureux est un acte de libération. Et la liberté n'est pas seulement vécue comme le fait de se libérer de ses liens, mais comme le droit de ne pas dépendre des conséquences nées de décisions passées, qu'elles soient les nôtres ou celles d'autrui. 96

C'est un effet de renouveau. L'amour naissant (celui de la passion ou des autres mouvements collectifs) possède la propriété extraordinaire de reconstruire le passé. 32

Sa nature réside justement dans le fait de n'être ni un désir, ni un caprice personnel, mais un mouvement porteur d'un projet et créateur d'institutions. Tous les mouvements collectifs séparent ce qui était uni et unissent ce qui était séparé. 23

Il n'existe pas de mouvement collectif qui ne parte d'une différence, il n'existe pas de passion amoureuse sans la transgression d'un interdit. 25

La raison en est peut-être celle-ci : s'il n'y a pas d'obstacle, il n'y a pas non plus de mouvement, personne ne peut donc tomber amoureux. 26

Selon l'optique de l'institution, l'état naissant est, par définition, l'inattendu. Puisque sa logique est différente de celle de la vie quotidienne, il représente l'incompréhensible. Puisqu'il attaque les institutions au nom de leurs valeurs mêmes et les accuse d'hypocrisie, il incarne le fanatisme. Puisqu'il reconstruit le passé et déclare rompu les liens et les pactes, il est monstrueux. Face à un état naissant, même le plus insignifiant, l'institution est ébranlée dans ses certitudes. En reproduisant l'événement qui a donné naissance à l'institution elle-même, en mettant à nu les forces qui l'alimentent, l'état naissant crée une situation pleine de risques mortels. 93

L'état naissant, en effet, a tendance à devenir institution et l'institution réside fondamentalement dans cette définition : dire, soutenir que l'état naissant est tout entier symboliquement réalisé et, en même temps, qu'il est pratiquement tout entier à réaliser. 151

L'amour surgit donc autour d'une institution, autour d'un pacte. Et le pacte surgit autour d'une limite, de la nécessité de reconnaître que tout n'est pas possible, que l'impossible existe. 108

Peut-on par un acte de volonté, cesser d'être amoureux ? Non. peut-on, par un acte de volonté éviter de tomber amoureux ? Oui [...] Il existe un savoir destiné à éviter de tomber amoureux. Toutes les institutions détiennent ce savoir, car toutes les institutions cherchent à empêcher l'individu de tomber amoureux [car elles] sont toujours centrées sur une entité qu'elles estiment plus importante que n'importe quel individu. Que ce soit le parti, le mouvement, la classe, la patrie, l'église ou Dieu, cette entité - par définition - est supérieure à n'importe quel homme ou à n'importe quelle femme réels. 178

L'expérience subjective de l'énamoration (ou de l'action historique) est celle du caractère irremplaçable de l'objet de notre désir comme de notre propre singularité, expérience de la certitude et de la plénitude de l'être, nostalgie d'une béatitude qui nous exile de l'être et rend bien fade l'existence ordinaire d'une vie absente avec ses petits calculs utilitaires. Bien que l'amour apparaisse à l'évidence comme une dépendance, une perte d'autonomie, c'est bien plus encore une libération, une individuation, une singularisation de l'existence, du moins au début...
L'autre, l'être aimé, devient celui qui ne peut être que lui, l'absolument unique [...] l'être aimé porte en lui quelque chose d'incomparable, quelque chose dont nous avons toujours ressenti le manque et qui s'est révélé à travers lui et que, sans lui, nous ne pourrions jamais plus retrouver. 19

Nous voulons être vus comme uniques, extraordinaires, indispensables, par un être qui est lui aussi unique, extraordinaire et indispensable. Voilà pourquoi l'amour naissant est, et ne peut être, quemonogame. 43

Sentir que l'autre nous apprécie nous permet de nous apprécier nous-mêmes, de valoriser notre moi. C'est le mouvement de l'individuation. 44

Autres dimensions de l'état naissant : la vérité et l'authenticité. [...] Pour racheter son passé, il doit dire la vérité ; seule "la vérité rend libre". C'est pourquoi chacun se rachète en avouant à l'autre toute la vérité, en se montrant dans son discours sur lui-même complètement transparent à ses yeux et aux yeux de l'autre. 66

Ce que l'on trouve dans l'amour naissant et que l'on ne trouve pas dans la vie quotidienne, c'est la certitude que la vérité est accessible et que chaque problème a une solution, même si on ne l'a pas encore trouvée. 87

La nature même de l'amour naissant implique que l'on se fie à l'autre, que l'on se remette à lui, que l'on s'abandonne. Les amants ne sont pas jaloux. 42

Il n'y a aucune comptabilité entre ce que l'on donne et ce que l'on reçoit. 64

L'amour est l'établissement d'une nouvelle communauté, d'une nouvelle et heureuse vie en commun où, par la grâce de l'innocence de son projet, tous devraient se reconnaître. 36

Son passé a acquis une autre signification à la lumière de son nouvel amour. L'être aimé peut garder de la tendresse pour son mari ou pour sa femme, justement parce qu'il est amoureux. La joie de ce nouvel amour le rend aimable, tendre, bon. En général, c'est l'autre qui n'accepte pas cet état de choses, qui n'y croit pas, qui désire l'être aimé tout entier pour lui et les amoureux en viennent souvent à briser plus de choses que chacun d'entre eux ne l'aurait voulu. 34

Dans l'état naissant, l'exigence du choix revêt les caractéristiques du dilemme. C'est comme si l'on demandait à une mère, à qui on a enlevé deux enfants, de choisir lequel d'entre eux devra être tué. Il n'y a pas de solution. L'état naissant est toujours confronté au dilemme, tous les mouvements collectifs sont confrontés au dilemme. 37

La perte de l'ancien partenaire coïncide avec la perte de tout ce que l'on est, la perte de ses propres valeurs, de l'image de soi-même, de sa propre estime. Celui qui est amoureux ne se rend pas compte de la terrible offense qu'il commet et qui ne peut lui être pardonnée. Aussi rencontre-t-il le refus, le désespoir, le cri, là où il attendait la compréhension. 35

Puisque existe un obstacle, puisque l'autre est différent, puisque la réponse n'est jamais absolument certaine ni, du moins, exactement proportionnelle à la demande, les faits, les choses, les combinaisons les plus fortuites se transforment en signes à interpréter, en invitations, en refus, en présages. 45

Ce faisceau de manières de penser et de sentir que nous venons de décrire (instant-éternité, bonheur, buts absolus, autolimitation des besoins, égalité, communisme, authenticité et vérité, réalité et contingence, etc.) représente les propriétés structurelles, permanentes de l'état naissant. 69

L'exception ne peut devenir la règle. Vient le moment de l'institutionnalisation et de la fin des illusions, des ruptures et des séparations, le passage de l'amour à la haine ou bien l'indifférence ; le retour à nos petites affaires trop quotidiennes, aux luttes de pouvoir, aux rapports de domination, à la culpabilité et aux devoirs.

Le passage de l'amour naissant à l'amour implique que chacun obtienne la preuve de pouvoir être aimé malgré sa déshumanisation. La preuve (de réciprocité) entraîne une lutte dans laquelle chacun demande à l'autre de se rendre sans conditions, de perdre son humanité concrète, la seule qu'il connaisse. C'est un combat entre gens qui s'aiment mais c'est également un combat à mort. Celui qui subit l'épreuve lui oppose une résistance désespérée. Et celui qui impose l'épreuve l'impose véritablement et décide dans son coeur que si l'autre n'en sort pas victorieux, il ne l'aimera plus. Chacun veut être aimé bien qu'il semble un monstre et qu'il dise non, chacun veut être aimé bien qu'il inflige des épreuves monstrueuses comme condition de son oui. Mais l'épreuve est toujours réciproque. 107

Lorsqu'on tombe amoureux l'autre apparaît toujours plein d'une vie débordante. Il est en effet l'incarnation de la vie dans l'instant de sa création, dans son élan, la voie vers ce que l'on n'a jamais été et que l'on désire être. L'aimé est donc toujours une force vitale libre, imprévisible, polymorphe. Il est comme un superbe animal sauvage, extraordinairement beau et extraordinairement vivant. Un animal dont la nature n'est pas d'être docile mais rebelle, n'est pas d'être faible, mais fort. La "grâce" est le miracle qu'un telle créature devienne douce à notre égard et qu'elle nous aime. 130

Peu à peu, il devient domestique, disponible, toujours prêt, toujours reconnaissant. Ce faisant la superbe bête sauvage se transforme en un animal domestique, la fleur tropicale, arrachée à son milieu, s'étiole dans le petit vase posé sur la fenêtre. 131

Le projet est toujours un projet de transformation de la vie quotidienne, et renoncer à cette transformation est considéré, pour la plupart, comme un échec. 142

Plus l'amour naissant s'entête à tout réaliser dans le concret, dans le pragmatique, dans les faits, plus il est condamné à s'éteindre. 141

Peu à peu, pour ne plus désirer la personne qu'il a aimée, il devra trouver en lui-même des raisons de se libérer de cet amour, il devra chercher à reconstruire ce qu'il a vécu, investissant de haine tout ce qui a été. Par la haine il tentera de détruire le passé. 117

Le seul mouvement vrai, profond qu'il éprouve, marqué du sceau douloureux de l'authenticité, est la nostalgie, la nostalgie d'une réalité perdue. Et pour se défendre de la nostalgie, il est contraint de se battre avec le passé, d'alimenter en lui le ressentiment et la haine. 118

Celui qui est amoureux est immédiatement porté à se reconnaître dans une autre personne amoureuse, même si celle-ci le quitte pour un autre. Il comprend profondément l'amour de l'autre et, quelle que soit la douleur qu'il puisse éprouver, il le respecte. L'amour qu'il éprouve l'amène à comprendre l'autre, à lui témoigner de la sympathie, à vouloir son bonheur. [...] Il pense alors au suicide pour libérer lui-même et l'aimé d'un poids intolérable. 118

Il souhaite le bonheur de l'être dont il est amoureux et il s'écarte pour le lui laisser. 119

Après l'amour, si la haine n'a pas réussi à tout effacer, il reste au moins le souvenir qui marque la mémoire, et pour toujours, d'un moment d'éternité qui peut revenir à tout instant, moment qu'on revit en rêve avec ravissement à chaque fois. Mais on oublie tellement, et le plus souvent on perd de vue nos amours passés, coupés de notre histoire. Parfois reste une amitié sincère mais trop souvent un lien de dépendance plus ou moins malsain entre l'un qui aime encore et l'autre qui n'aime plus. La communauté perdue, chacun redevient étrangement étranger l'un à l'autre, d'avoir pourtant été si proches jusqu'à mélanger leurs chairs, jusqu'à donner sa vie, jusqu'à donner la vie. Ah, qu'il revienne ce temps de l'amour ! Qu'il vienne, qu'il vienne le temps où l'on s'éprenne !

Quelle que soit la personne avec laquelle il a des rapports, il continue d'imaginer qu'il fait l'amour avec l'être aimé et il en retire une expérience qu'il revivra fantasmatiquement avec celui dont il est amoureux. On arrive donc à ce paradoxe : on peut faire l'amour avec quelqu'un que l'on n'aime pas sans jamais le faire réellement avec lui, et ne jamais faire l'amour avec la personne que l'on aime et cependant ne le faire qu'avec elle. 143

Elle n'aime plus, car elle n'a plus confiance, mais il lui est agréable de se sentir aimée et surtout, il lui est agréable de sentir qu'elle exerce un pouvoir sur celui qui l'aime. Un immense pouvoir grâce auquel elle oblige l'autre à l'accepter telle qu'elle est, un pouvoir grâce auquel en humiliant l'autre elle se libère de son passé, se prépare à voir d'autres choses, à chercher d'autres choses, un nouvel amour peut-être. L'amour de l'autre, amour sincère, profond et de plus en plus désespéré, lui sert à renforcer ses propres décisions jusqu'au moment où elle n'aura plus besoin de l'autre. 127 

Au niveau politique, on verra l'équivalent dans le premier cas fantasmatique avec les mouvements nostalgiques qui rejouent le grand soir dans des agitations dérisoires, dans le deuxième cas oppressif on peut penser à la confiscation par des politiciens démagogues des idéaux révolutionnaires à des fins d'asservissement, de "terreur intellectuelle" voire de culte de la personnalité. On sait que la révolution débouche sur le bonapartisme. L'enjeu d'une révolution est de penser la société post-révolutionnaire sans retomber dans l'isolement d'une communauté dépressive.

Pour qu'une nouvelle révolution soit possible, il faut sans doute que la nostalgie de la précédente ait épuisée sa puissance de fascination, qu'il n'y ait plus de pouvoir légitime, idéologique ou politique (on s'en approche). Nous n'avons plus rien à perdre qu'une si longue solitude, nous pouvons nous aimer à nouveau, nous reconnaître, nous manifester en explosions sociales, retrouver lajoie d'être ensemble après toutes ces années d'hiver.

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7 janvier 2011 5 07 /01 /janvier /2011 19:43

Etre amoureux n’est pas un état, mais une élaboration, un devenir. L’amour ne dure pas parce qu’il se fige, mais parce qu’il se renouvelle, il renaît.

Les anglo-saxons distinguent nettement falling in love, l’enamourement, de being in loveêtre amoureux. Le processus de l’enamourement est bref par définition, bien qu’il ne soit pas instantané comme l’indique le verbe to fall. Mais après cela, il existe aussi un état amoureux qui perd certaines des caractéristiques initiales de l’enamourement, mais qui en conserve d’autres.

Du "falling in love", il perd le caractère dramatique, spasmodique, l’exultation glorieuse, la peur panique, l’extase et le tourment. Il perd la transfiguration du monde. En deux mots, il perd les qualités spécifiques de l’état naissant.

Mais il conserve l’idée que la personne dont nous sommes amoureux, et qui est maintenant notre femme ou notre mari, est la seule personne au monde qui nous intéresse vraiment ; celle que nous préférons à toutes les autres, y compris la star la plus célèbre. C’est pour cela que si nous pensons qu’il lui est arrivé quelque chose, si nous ne la voyons pas rentrer, nous sommes saisis d’une crise de panique.

La psychanalyse s’est trompée quand elle a expliqué l’enamourement comme la répétition des relations de l’enfant avec sa mère. L’enfant ne découvre pas sa mère, il ne tombe pas amoureux d’elle. C’est plutôt la mère qui découvre son enfant, qui tombe amoureuse de lui, et puis qui continue à l’aimer au fur et à mesure qu’il grandit.

C’est ce qui arrive dans le couple d’amoureux. Une fois que le processus original de fusion est accompli, les deux personnes vivent l’expérience d’être amoureuses, sans plus craindre de ne pas être aimées de retour, mais avec la joie et la fierté de l’amour triomphant.

Mais, contrairement à ce qui se passe entre la mère et l’enfant, après un certain temps, cet état amoureux peut finir, et nous pouvons tomber amoureux de quelqu’un d’autre. Mais il peut aussi se faire que cet état amoureux dure longtemps, de sorte que ces deux personnes peuvent dire d’être amoureuses (being in love) pendant des dizaines d’années, et même pour toute la vie. Pourquoi un amour finit-il, et pourquoi, dans d’autres cas dure-t-il longtemps ? Voilà notre question.

Pour y répondre, nous devons avant tout répondre à cette question préliminaire : quand tombons-nous amoureux ? Nous tombons amoureux quand nous sommes prêts à changer, quand nous sommes prêts à abandonner une expérience déjà vécue et usée, et que nous sommes animés d’un élan vital pour accomplir une nouvelle exploration, pour changer de vie. Quand nous sommes prêts à activer des capacités que nous n’avions pas exploitées, à explorer des mondes que nous n’avions pas encore explorés, à réaliser des rêves et des désirs auxquels nous avions renoncé. Nous tombons amoureux quand nous sommes totalement insatisfaits du moment présent et que nous avons l’énergie intérieure suffisante pour commencer une nouvelle étape de notre existence.

Et maintenant, la question suivante : quand un amour finit-il ? Il peut y avoir une crise précoce et une crise tardive. La crise précoce du couple se présente d’habitude parce qu’il ne s’était pas créé un lien amoureux assez fort. C'est-à-dire qu’il n’y avait pas eu de véritableenamourement, mais un pseudoenamourement. Mais il y a aussi des cas où la crise arrive malgré l’enamourement ; généralement quand les divergences sur le projet sont trop importantes.

La crise tardive est due à trois raisons. La première est le retour du passé. Un passé qui semblait sans importance, et qui, par contre, faisait partie intégrale de notre personne. Dans le processus amoureux, nous renonçons à de nombreux aspects de nous-même, nous nous transformons. Mais nous continuons à cacher au fond de notre cœur des désirs, des besoins qui peuvent se manifester même après très longtemps. La seconde raison d’une crise est la compétition envieuse, avec vengeances et mesures de répression.

La troisième, la plus importante peut-être, naît de l’évolution divergente. Les deux membres du couple réagissent de façon différente aux circonstances de l’existence. Chacun d’entre eux change, développe de nouveaux désirs, au point que la relation du couple peut devenir trop étroite, trop fermée, alors que d’autres possibilités, d’autres alternatives se présentent. Jusqu’au moment où l’évolution divergente produit une fracture trop grande entre le désir et sa réalisation. Dans la vie de chaque couple, même le plus harmonieux, il y a des périodes, quelquefois des mois ou des journées, où nous désirons de nouvelles expériences, ou bien nous croyons nous être trompés, ou bien nous sommes fascinés par les nouveautés. Notre lien commence alors à se transformer en obstacle, et la personne devient disponible pour un nouvel enamourement.

Voici notre réponse à la question : " pourquoi un couple dure-t-il ? ". Pour le couple d’amoureux de longue date, cette propension à tomber amoureux ne s’adresse pas à un nouvel objet, elle ne détruit pas la vieille relation pour en instaurer une nouvelle. Parce que l’autre répond en se transformant à son tour, il remplit le vide qui était en train de se créer, et les énergies naissantes se tournent de nouveau vers lui. L’état amoureux continue parce que nous retombons amoureux de la même personne. La co-évolution dont parle Jurg Willi est en réalité une façon continue de se retrouver.

Mais de quoi dépend cette capacité de se retrouver? D’abord du type d’institutionnalisation. L’état naissant devient mouvement, puis institution.

Aucun couple d’amoureux ne peut durer à moins d’être défini par des pactes, des conventions, des accords, des limites cherchés de façon empirique et acceptés justement grâce à l’amour. Certains, confondant le moment créatif et celui institutionnel, soutiennent qu’une spontanéité déchaînée doit régner sans contrastes dans le couple. Ils disent : " sois spontané, agis selon tes impulsions, dis ce que tu penses. La vérité vaut toujours mieux que l’hypocrisie. Si tu es de mauvaise humeur, ne t’oblige pas à être gentil. Si cela te fait plaisir, insulte-le. Si l’autre ne te plaît pas, jette-le lui à la figure. Si vous ne vous entendez pas bien, battez-vous ouvertement. "

Mais c’est une erreur. C’est déjà une erreur au début, au moment de la formation du couple, quand chacun doit comprendre quels sont les points de non-retour de l’autre ; quelles sont les valeurs, les désirs essentiels pour lui, ce qui le rend joyeux et ce qui le fait souffrir. La vie de couple n’est possible que si nous réussissons à assumer les exigences, les valeurs, les rêves et les désirs de l’autre. C'est-à-dire à lui donner du plaisir. Je suis heureux si ma femme est heureuse, si elle s’épanouit dans son travail, si elle a du succès. Je suis malheureux si je me rends compte qu’elle souffre, qu’elle est amère, déçue, découragée. C’est pour cela que j’essaierai de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour la rendre heureuse, pour l’aider à s’exprimer. Je ne peux pas placer en premier plan mes impulsions, mes mauvaises humeurs, mes caprices.

Mais tout cela ne peut être le résultat d’un effort, d’une fiction qui deviendrait peu authentique. Cela doit être authentique, désiré et voulu. Cela est possible parce que, en amour, l’opposition spontanéité / devoir n’a aucune valeur. En amour, je suis spontané aussi quand je m’occupe de mon fils, quand je me sacrifie pour lui, que je le veille la nuit. Je suis spontané quand je fais la cour à ma petite amie, quand je l’attends des heures entières à la gare, quand je passe un après-midi à aller lui acheter un cadeau.

Mais comment faire durer cette disponibilité qui est immédiate et naturelle pendant la période de l’enamourement ? Comment la transformer en institution ? Pour continuer à plaire à son mari, une femme devrait se préparer pour lui comme elle le faisait pour leurs premières rencontres, comme elle le ferait pour un amant : se coiffer, se maquiller, porter un vêtement agréable, venir à sa rencontre un sourire aux lèvres. Cela n’est possible que si elle prend l’habitude de le faire, si elle le fait comme un rite devenu spontané, exactement comme un pas de danse. Son mari doit faire la même chose. S’il a gardé de son enfance des habitudes grossières, qui ne plaisent pas à sa femme, comme par exemple être désordonné, roter, ou dire des gros mots, il doit les oublier. Et transformer les rites de la cour qu’il a utilisés quand il était amoureux, en figures récurrentes, qu’il adopte spontanément, comme il se rase tous les matins. Alors, il se souviendra des anniversaires et des autres fêtes, il emmènera sa femme au restaurant, au théâtre ou à l’opéra, il organisera des voyages, tout ce que, à son avis, elle aime, et qui les rapproche. Les rites de proximité.

La spontanéité de la vie de couple ressemble à celle de la danse. Quand nous voyons deux danseurs s’exhiber, nous avons une sensation extraordinaire de naturel. Mais à la base de cette spontanéité et de cette grâce, il n’y a pas deux spontanéités distinctes. Au contraire, il y a recherche volontaire d’un accord, d’une harmonie, d’une entente parfaite qui se réalise à la suite d’un long travail, en essayant et répétant. Et il y a des mouvements, des ensembles de mouvements, des figures qui doivent être apprises par cœur et répétées une quantité innombrable de fois jusqu’à ce qu’elles se transforment en automatismes. Alors et seulement à ce moment là, la danse donne une impression d’extraordinaire harmonie spontanée. Alors qu’il s’agit, au contraire, du fruit d’un lent apprentissage, de l’objectivation du désir de faire ensemble. Le naturel et la spontanéité sont pour cela même les fleurs qui éclosent de l’exercice de la rencontre des volontés.

Chacun, utilisant l’énergie de l’état naissant de l’enamourement, doit créer des institutions revitalisantes. C’est le domaine où le sociologue Sasha Weitman est en train de conduire une recherche importante. Lui aussi part de notre question: comment un amour peut-il durer? Et il cherche une réponse dans les rites de reproduction, qui englobent les rites domestiques, les rites érotiques, et les rites de socialisation.

En attendant que Weitman ait fini son étude, nous continuerons à employer l’expression "Institutions revitalisantes". Ce sont de nouvelles habitudes relationnelles que les membres du couple intériorisent en profondeur jusqu’à ce qu’elles en arrivent à produire une spontanéité nouvelle. C’est la découverte de cette nouvelle spontanéité, de cette spontanéité au deuxième degré qui lie le couple. Exactement comme les deux danseurs dont nous parlions, qui dirigent leurs pas de façon synchronisée. Et ils y arrivent parce que chacun a appris à les régler sur ceux de l’autre, dans des figures rituelles complexes; et maintenant, ils trouvent agréable, facile et plaisant de le faire. Et plus ils perfectionnent leur danse, plus ils en éprouvent de plaisir, plus ils sont admirés par les autres, plus ils s’enorgueillissent de leur habileté et de leur union.

Le ré-enamourement est plus facile si les deux conjoints vivent leur relation comme quelque chose qui a de la valeur et qui crée de la valeur; si tous les deux acceptent jusqu’au bout leur vocation amoureuse. S’ils en sont fiers. S’ils donnent de l’importance à leur amour, au fait d’être un couple, à ce qu’ils sont en train de faire ensemble. S’ils s’engagent ensemble dans la vie, s’ils luttent côte à côte. S’ils considèrent leur amour une vocation artistique, créative.

Mais d’autres processus entrent en œuvre

Rappelons qu’il y a quatre mécanismes de l’amour.

Le plaisir, la perte, l’indication et l’état naissant. Nous avons déjà parlé longuement du plaisir; passons maintenant aux trois autres mécanismes présents dans le processus d’enamourement. Nous connaissons tous par expérience, le mécanisme le plus simple: celui de la perte. Quand notre mari ou notre femme ne rentre pas le soir, qu’il ne nous téléphone pas et que nous ignorons où il est, nous sommes saisi par l’angoisse de le perdre. Ou bien quand quelqu’un lui fait la cour, et nous nous rendons compte combien elle est importante pour nous. Alors, nous recommençons à avoir des frissons, le cœur qui bat, à être jaloux, à éprouver un désir lancinant. Il s’agit de vagues, de sursauts, de gestes de vitalité frais qui renouvellent l’amour.

Certaines fois, par contre, c’est l’intérêt manifesté par quelqu’un d’autre qui lui fait la cour, l’indication qui se remet à réactiver le désir et l’amour. Cela arrive quand les autres te parlent avec admiration de ta femme ou de ton mari, qu’ils lui font la cour, et que de façon générale, ils l’indiquent comme une personne universellement désirable.

Le quatrième mécanisme, fondamental, est l’état naissant. Aucune relation durable de couple n’est possible sans la phase de fusion ardente de l’enamourement, quand les personnalités sont malléables, capables de rencontre profonde. Aucun parti, aucune église ne peut naître sans l’enthousiasme créateur des origines, sans le rêve du règne de Dieu. Ce ne sont ni la raison, l’utile, le calcul, la convention ou l’habitude qui créent la solidarité sociale, mais celle-ci nous est donnée au départ "par grâce reçue", et elle se renouvelle de la même façon.

Et bien, quand les conditions que nous avons examinées existent, quand les amoureux ont appris à se donner du plaisir réciproquement au moyen des institutions revitalisantes, quand les mécanismes de la perte et de l’indication sont en œuvre, et enfin, quand ils vivent leur relation amoureuse comme une valeur, il existe alors une probabilité élevée que l’état naissant se recrée. Alors, quand ils ont changé tous les deux, et qu’ils prêts à une expérience amoureuse nouvelle, ils tombent amoureux de la même personne qui se révèle nouvelle et différente.

J’ai personnellement vécu plusieurs fois, vis à vis de mon épouse, cette expérience. À une réception, à une fête, j’entrevois de loin une femme qui parle avec d’autres personnes, qui rit. Elle est d’une beauté émouvante, qui me fascine, qui me fait battre la chamade. C’est la personne la plus belle que j’aie jamais rencontrée, et je sais qu’aucune autre ne me plaît ni ne pourra me plaire autant qu’elle. Les autres femmes présentes dans la salle me sont totalement indifférentes.

Mais, elle, elle me semble infiniment loin, inaccessible, appartenant à un monde que je ne pourrai jamais approcher. Et puis, soudain, je me rends compte que je suis en train de regarder ma femme, que c’est elle. Et je suis envahi d’une vague de bonheur, d’exaltation, et de gratitude. J’en ai presque le vertige.

Je ne sais pas combien de temps dure l’instant pendant lequel je ne reconnais pas ma femme; peut-être une infime fraction de seconde. Mais, de façon subjective, il me semble long. C’est pour cela que, pendant quelque temps, je l’observe comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre, une étrangère, comme si je la voyais pour la première fois. Et je ressens totalement le bouleversement typique de la personne qui tombe amoureuse, et qui désespère de se sentir aimé de la même façon.

Rester amoureux pour moi, signifie donc arriver à revoir sa bien-aimée avec les yeux émerveillés du début, quand une beauté et un bonheur que je n’aurais jamais cru pouvoir obtenir dans ma vie, me sont révélés.


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7 janvier 2011 5 07 /01 /janvier /2011 19:13

 

Une invention appelée « le peuple juif »

 

mardi 11 mars 2008

 

Tom Segev    -     http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=3960

La Déclaration d’Indépendance d’Israël énonce que le peuple juif est apparu en Terre d’Israël, puis qu’il aurait a été exilé de sa patrie natale. Tout élève israélien apprend, à l’école primaire, que ce que cela se serait produit durant la domination romaine, en l’an 70 après J.C. Après quoi, la nation juive serait restée fidèle à sa terre, dans laquelle elle aurait commencé à retourner, après deux millénaires d’exil.

 

« Faux », dit l’historien Shlomo Zand, dans un des ouvrages les plus fascinants - et les plus dérangeants - à avoir été publiés, ici (en Israël), depuis bien longtemps. « Il n’y a jamais eu de « peuple juif », mais seulement une religion juive, et l’exil, lui non plus, ne s’est jamais produit - par conséquent, comment parler de « retour » » ?? Zand rejette la plupart de ces histoires autour de la formation d’une identité nationale, dans la Bible, et notamment l’exode d’Egypte, ainsi (on ne s’en plaindra pas) que les horreurs de la conquête (de Canaan, la Palestine, ndt) sous les ordres de Josué. « Tout ça, c’est de la fiction, c’est une mythologie qui a servi de prétexte à la création de l’Etat d’Israël », affirme-t-il.

 

D’après M. Zand, les Romains n’exilaient généralement pas un peuple entier, et la plupart des juifs furent autorisés à rester dans le pays. Le nombre des exilés se chiffra au grand maximum en dizaines de milliers. Quand le pays fut conquis par les Arabes, beaucoup parmi les juifs se convertirent à l’Islam, et furent assimilés à la société des conquérants. Il en découle que les ancêtres des Arabes palestiniens étaient des juifs. Zand n’est pas l’inventeur de cette thèse ; trente années avant la Déclaration d’Indépendance d’Israël, David Ben-Gourion l’avait faite sienne, ainsi que Yitzhak Ben-Zvi et bien d’autres.

 

Si la majorité des juifs n’ont pas été exilés, comment se fait-il qu’ils furent si nombreux à atteindre quasiment tous les pays de la Terre ? Zand dit qu’ils ont émigré de leur plein gré ou, pour ceux qui furent exilés à Babylone, ils restèrent dans leur pays d’exil parce qu’ils avaient choisi de le faire. Contrairement à la croyance conventionnelle, la religion juive a tenté de convertir des membres d’autres croyances de devenir juifs, ce qui explique de quelle manière il y a eu des millions de juifs, dans le monde entier. Comme l’indique, par exemple, le Livre d’Esther, « Et beaucoup des peuples de la Terre se firent juifs ; en effet, ils avaient été saisis par la crainte des juifs. »

 

Zand cite beaucoup d’études existantes, dont certaines ont été écrites en Israël, mais évincées du discours consensuel. Il décrit aussi, longuement, le royaume juif d’Himyar, dans le Sud de la Péninsule arabique, et les Berbères juifs, en Afrique du Nord. La communauté juive, en Espagne, découlait d’Arabes qui s’étaient convertis au judaïsme et étaient venus avec les armées qui avaient conquis l’Espagne sur les chrétiens, ainsi que d’individus d’origine européenne, qui s’étaient, eux aussi convertis au judaïsme.

 

Les premiers juifs d’Ashkénaz (l’Allemagne) ne venaient pas de la Terre d’Israël et ils n’avaient pas atteint l’Europe orientale à partir de l’Allemagne, mais ils s’étaient convertis au judaïsme dans le royaume Khazar, dans le Caucase. Zand explique les origines de la culture yiddish : ce n’était pas une importation juive à partir de l’Allemagne, mais le résultat d’une connexion entre les descendants des Kuzari et les Allemands, qui se rendaient dans les régions orientales de l’Europe, en tant que commerçants, pour certains d’entre eux.

 

Nous ne sommes pas étonnés, dès lors, de trouver toute une variété de gens et de races, des blonds, des bruns, des basanés et des jaunes, devenus juifs, en grand nombre. D’après Zand, les sionistes ont besoin de leur bricoler une ethnicité commune, et la continuité historique a produit une longue série d’inventions et de fictions, ainsi qu’une invocation permanente de thèses racistes. Certaines ont été concoctées par les esprits des théoriciens du mouvement sioniste, tandis que d’autres ont été présentées comme les constatations d’études génétiques effectuées en Israël.

 

Le Professeur Zand enseigne à l’Université de Tel Aviv. Son ouvrage « Quand et comment le peuple juif a-t-il été inventé ? »(When and How was the Jewish People Invented ? ») (publié par les éditions Resling, en hébreu), vise à promouvoir l’idée qu’Israël devrait être un « Etat de tous ses citoyens » - juifs, Arabes et autres - par opposition à son identité proclamée de « pays juif et démocratique ». Des histoires personnelles, une discussion théorique profuse et des saillies sarcastiques nombreuses ne servent pas l’ouvrage, mais ses chapitres historiques sont bien écrits, et ils citent de nombreux faits et analyses que beaucoup d’Israéliens seront étonnés de lire pour la toute première fois.

 

Le moustique de Kiryat Yam

 

Le 27 mars 1948, une réunion fut organisée, à Haïfa, portant sur le sort des Bédouins de la tribu Arab al-Ghawarina, dans la région de cette ville. « Il faut les faire partir d’ici, afin qu’ils ne viennent pas, eux aussi, compliquer encore nos problèmes », écrivit Yosef Weitz, du Keren Keyameth [le Fonds National Juif], dans ses Mémoires. Deux mois plus tard, Weitz faisait son rapport au directeur de cette institution : « Notre Baie de Haïfa a été totalement évacuée, et il n’y a pratiquement plus personne, de ceux qui s’accrochaient à notre frontière. »

 

Ils avaient probablement été expulsés en Jordanie ; certains d’entre eux furent autorisés à rester dans le village de Jisr-Az-Zarqa. Le sort des bédouins de la tribu des Arab al-Ghawarina a fait récemment les grands titres de la presse, grâce à Shmuel Sisso, maire du faubourg Kiryat Yam de l’agglomération de Haïfa. Il a, en effet, déposé plainte, à la police, contre Google. La raison ? Un ajout, fait par un des « surfers » de ce site, un habitant de Naplouse, à une photo par satellite du centre de Kiryat Yam, affirmant que la ville de Haïfa a été construite sur les ruines d’un village détruit en 1948, Arab al-Ghawarina. La plainte déposée par Sisso affirme que cette allégation a un caractère diffamatoire.

 

Voici les faits : Les terres de la Vallée de Zébulon avaient été achetées, dans les années 1920, par le Fonds National Juif et par diverses entreprises de travaux publics, dont une s’appelait Gav Yam. Les Archives sionistes ont le plan, daté 1938, de la création de Kiryat Yam, et une lettre de 1945 qui indique que cette localité comportait déjà une centaine d’habitations. Les cartes gouvernementales de la période du Mandat britannique identifient le territoire sur lequel Kiryat Yam avait été construit sous deux noms : Zevulun Valley [Vallée de Zébulon] et Ghawarina. Ainsi, il appert que ce village n’était pas une implantation (en dur), mais un endroit où résidaient des Bédouins.

 

Le site web de l’association israélienne Zochrot [Souvenir, en hébreu], indique que 720 personnes y vivaient, en 1948, et que ce territoire a été partagé entre trois kibbutzim : Ein Hamifratz, Kfar Masaryk et Ein Hayam, connu de nos jours sous le nom d’Ein Carmel.

 

Cette histoire ne cesse de circuler sur Internet, attirant des réponses, qui peuvent être résumées comme suit : « Si Sisso attaque Google en justice parce que celui-ci a affirmé qu’il vit sur les ruines d’un village arabe détruit, on peut en déduire que c’est lui qui n’a pas la conscience très nette. » Sisso, un avocat de cinquante-sept ans, connu pour son affiliation au Likoud, et ancien consul général d’Israël à New York, dit : « Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose à redire, mais d’autres personnes pourraient le penser, en particulier des gens vivant à l’étranger, et cela risque de porter atteinte à la réputation de Kiryat Yam, parce que les gens ne voudront plus investir ici. Dès lors que nous ne sommes pas installés à la place d’un village palestinien, pourquoi devrions-nous souffrir, sans aucune raison ? »

 

Né au Maroc, Sisso est arrivé en Israël en 1955. « J’ai exploré toute la région, et je n’ai vu nulle trace de gens qui auraient vécu ici, avant nous, et qui auraient soi-disant été chassés ?... » Il a demandé à un professeur de droit américain de quelle manière - s’il en existe une - il pourrait attaquer Google en justice pour diffamation, ou pour exiger des dommages et intérêts. C’est-là, dit-il lui-même, la contribution de Kiryat Yam à la lutte contre le droit au retour (des réfugiés palestiniens) !

 

Cela risque fort d’être le procès le plus retentissant depuis la plainte déposée par Ariel Sharon contre le magazine Time, mais M. le Maire Sisso ne se fait aucune illusion : « Moi, contre Google, c’est comme si un moustique attaquait un éléphant », a-t-il dit, voici de cela quelques jours...

 

À qui l’Amérique appartient-elle ?

 

Deux universitaires, Gabi Shefer et Avi Ben-Zvi, ont été les hôtes de l’émission d’information de la Radio israélienne « International Hour », animée par Yitzhak Noy. L’animateur, d’une voix légèrement anxieuse, leur a demandé si les succès de Barack Obama n’étaient pas un signe que les Etats-Unis n’appartiendraient désormais plus à l’homme blanc ? Le Professeur Shefer en a donné confirmation : Obama est un immigré, a-t-il dit. Alors que l’animateur sollicitait à son tour son avis, le Professeur Ben Zvi a, quant à lui, ajouté : « Gabi Shefer a raison ».

 

Mais ils avaient tort, l’un comme l’autre. Si Obama était un immigré, il ne serait pas éligible à la présidence des Etats-Unis.

 

Non ; Obama est né à Honolulu. Deux ans après que cette île soit devenue le cinquantième Etat de l’Union...

 

1° mars 2008 - Ha’aretz - Vous pouvez consulter cet article à :

http://www.haaretz.com/hasen/spages...

Traduit de l’anglais par : Marcel Charbonnier

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